DROIT INFORMATIQUE

Jurisprudence

Cass. com., 21 janvier 2014
pourvoi 13-11.704

droit informatique

Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 21 janvier 2014 (pourvoi 13-11.704)

Cour de cassation, chambre commerciale
21 janvier 2014, pourvoi 13-11.704

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Joint les pourvois n° R 13-11.704 et n° U 13-15.548, qui attaquent le même arrêt ;

Sur l'irrecevabilité du pourvoi n° R 13-11.704, relevée d'office après avertissement délivré aux parties :

Vu l'article 613 du code de procédure civile ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que le délai de pourvoi en cassation ne court à l'égard des décisions rendues par défaut, même pour les parties qui ont comparu devant les juges du fond, qu'à compter du jour où l'opposition n'est plus recevable ;

Attendu que la société Darty télécom s'est pourvue en cassation le 5 février 2013 contre un arrêt rendu par défaut, susceptible d'opposition, et qu'il n'est pas justifié de l'expiration du délai d'opposition à la date de ce pourvoi ;

D'où il suit que le pourvoi est irrecevable ;

Sur le moyen unique du pourvoi n° U 13-15.548 :

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 20 novembre 2012), qu'après avoir mis en demeure la société 5Dimes établie au Costa Rica de cesser de proposer en France, sur divers sites internet, des offres de jeux et paris en ligne sans agrément, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) a fait assigner devant le président du tribunal de grande instance de Paris statuant en la forme des référés l'hébergeur de ces sites, ainsi que différentes sociétés dont la société Darty télécom en leur qualité de fournisseurs d'accès internet (FAI), afin qu'il leur soit enjoint de mettre ou faire mettre en oeuvre toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français, au contenu des sites litigieux ;

Attendu que la société Darty télécom fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa fin de non-recevoir et de lui avoir enjoint de mettre en oeuvre ou faire mettre en oeuvre, sans délai, toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français, et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, aux sites internets illicites, alors, selon le moyen :

1°/ qu'en application de l'article 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, à l'issue d'un délai de huit jours, en cas d'inexécution par un opérateur de l'injonction de cesser son activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée, le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne peut saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'ordonner, en la forme des référés, l'arrêt de l'accès à ce service aux personnes mentionnées au 2 du 1 et, le cas échéant, au 1 du 1 de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ; qu'il est précisé à l'article 1er du décret n° 2011-2122 du 30 décembre 2011 que, lorsque l'arrêt de l'accès à une offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée a été ordonné dans les conditions définies à l'article 61 de la loi du 12 mai 2010, les personnes mentionnées au 1 du 1 de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004, c'est-à-dire les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, procèdent à cet arrêt en utilisant le protocole de blocage par nom de domaine (ONS) ; qu'il en résulte que l'action visant à ordonner l'arrêt de l'accès à une offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée ne peut être dirigée qu'à l'encontre des fournisseurs d'accès à internet ayant matériellement accès au réseau et pouvant ainsi personnellement procéder au blocage ordonné ; qu'en déclarant cependant recevable l'action dirigée, sur le fondement de l'article 61 de la loi du 12 mai 2010, contre un opérateur de services n'ayant pas matériellement accès au réseau et ne pouvant personnellement bloquer un nom de domaine, cette faculté appartenant aux seuls opérateurs de réseau, la cour d'appel a violé les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et 1er du décret n° 2011-2122 du 30 décembre 2011 ;

2°/ qu'une personne n'a qualité à défendre à une action en injonction de faire qu'à la condition de pouvoir personnellement mettre en oeuvre cette injonction ; qu'elle ne peut être attraite en justice aux fins de faire mettre en oeuvre cette injonction par une autre personne ; qu'en retenant cependant que l'action visant à ordonner l'arrêt de l'accès à une offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne pouvait être dirigée à l'encontre d'un opérateur de services ne pouvant personnellement procéder au blocage ordonné, dès lors que cet opérateur pouvait faire mettre en oeuvre ce blocage par un opérateur de réseau, la cour d'appel a violé les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et 1er du décret n° 2011-2122 du 30 décembre 2011 ;

3°/ que l'article 61 alinéa 2 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, qui offre au président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne le droit de solliciter à l'encontre des fournisseurs d'accès à internet une injonction d'avoir à interdire l'accès à un site internet, dès lors que l'éditeur d'un tel site n'a pas déféré sous huit jours à une mise en demeure adressée par le président de l'ARJEL, est contraire au principe de la présomption d'innocence consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'il permet que soit ordonnée l'interdiction de l'accès à un site internet, en raison du caractère illicite et pénalement répréhensible de l'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard réalisée sur ce site, sans que soit exigée de la part du président de l'ARJEL la démonstration du caractère illicite du site internet et sans que l'éditeur en cause soit appelé à la procédure et puisse bénéficier du droit de contester en justice de façon contradictoire et en temps utile l'analyse du président de l'ARJEL ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'il résulte de la combinaison des articles 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et 6,1,1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 qu'en cas d'inexécution par un opérateur non autorisé de l'injonction de cesser son activité d'offre de paris ou de jeux d'argent ou de hasard, l'arrêt de l'accès à ce service peut être ordonné aux personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne ; que ces personnes sont ainsi qualifiées par la loi pour défendre à l'action tendant au prononcé d'une telle mesure, sans qu'il y ait lieu de distinguer entre opérateurs de services ou de réseaux et peu important que l'opérateur considéré ait ou non la possibilité de procéder lui-même au blocage de l'accès au site litigieux ; qu'ayant constaté que la société Darty télécom s'était déclarée en qualité de fournisseur d'accès à internet auprès de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, la cour d'appel en a exactement déduit que cette société avait qualité pour défendre à la demande d'injonction formée à son encontre ;

Et attendu, en second lieu, que par décision du 12 juillet 2013, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité posée ;

D'où il suit que le moyen, inopérant en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

PAR CES MOTIFS :

DECLARE IRRECEVABLE le pourvoi n° R 13-11.704 ;

REJETTE le pourvoi n° U 13-15.548 ;

Condamne la société Darty Télécom aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à l'ARJEL la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille quatorze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit au pourvoi n° U 13-15.548 par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Darty télécom.

IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la fin de non-recevoir présentée par la société Darty Télécom et d'avoir, en conséquence, enjoint à cette société de mettre en oeuvre ou faire mettre en oeuvre, sans délai, toutes mesures propres à empêcher l'accès, à partir du territoire français et/ou par leurs abonnés situés sur ce territoire, au contenu du service de communication en ligne de la société Fivedimes accessible aux adresses http://www.5dimes.com et http://www.fivedimes.com ;

AUX MOTIFS qu' « aux termes des dispositions de l'article 61 de la loi du 12 mai 2010, « l'Autorité de régulation des jeux en ligne adresse aux opérateurs de jeux ou de paris en ligne non autorisés en vertu d'un droit exclusif ou de l'agrément prévu à l'article 21, par tout moyen propre à en établir la date de réception, une mise en demeure rappelant les dispositions de l'article 56 relatives aux sanctions encourues et les dispositions du deuxième alinéa du présent article, enjoignant à ces opérateurs de respecter cette interdiction et les invitant à présenter leurs observations dans un délai de huit jours ; à l'issue de ce délai, en cas d'inexécution par l'opérateur intéressé de l'injonction de cesser son activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard, le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne peut saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'ordonner, en la forme des référés, l'arrêt de l'accès à ce service aux personnes mentionnées au 2 du 1 et, le cas échéant, au 1 du 1 de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique ; le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne peut également saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir prescrire, en la forme des référés, toute mesure destinée à faire cesser le référencement du site d'un opérateur mentionné au deuxième alinéa du présent article par un moteur de recherche ou un annuaire» ; que l'article 6.1.1 de la loi du 21 juin 2004 auquel se réfère l'article 61 de la loi du 12 mai 2010 précité vise, ainsi que le relève l'ordonnance, les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne et ne distingue pas suivant qu'il s'agisse d'opérateurs de services ou de réseaux ; qu'il est établi et non contesté que l'appelante se qualifie comme fournisseur d'accès à /'internet ainsi qu'il résulte de la déclaration qu'elle a faite auprès de l'Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes (ARCEP) le 3 mai 2006 ; qu'elle ne peut se prévaloir de ce qu'elle n'a pas qualité à défendre dès lors que l'ordonnance prévoit précisément de mettre ou faire mettre en oeuvre les mesures appropriées au blocage et envisage de plus la possibilité d'en référer à la juridiction en cas de difficulté ; que si le décret 2011-2122 du 30 décembre 2011 prévoit que le blocage ordonné dans les conditions fixées par la loi du 12 mai 2010 doit être mis en oeuvre par les fournisseurs d'accès en utilisant le protocole par Data Name System (ONS), l'appelante qui justifie (pièce 13 et 14), suivant les accords qui la lient à Completel et Numéricable, avoir exécuté l'ordonnance, démontre qu'elle est capable de faire mettre personnellement en oeuvre les mesures appropriées au blocage par les opérateurs de réseau auxquels elle fait appel ; qu'il s'ensuit qu'elle a qualité pour défendre à la demande d'injonction, que c'est donc à juste titre que l'ordonnance a rejeté la fin de non-recevoir par elle soulevée, que cette décision doit en son principe être confirmée, que toutefois, il convient d'estimer que le prononcé d'une mesure d'astreinte à l'appui de l'injonction prononcée à l'encontre de l'appelante ne s'avère, compte tenu des circonstances du litige, ni nécessaire ni opportune et dit en conséquence n'y avoir lieu à assortir cette injonction d'une mesure d'astreinte»

ALORS, d'une part, qu'en application de l'article 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, à l'issue d'un délai de huit jours, en cas d'inexécution par un opérateur de l'injonction de cesser son activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée, le président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne peut saisir le président du tribunal de grande instance de Paris aux fins d'ordonner, en la forme des référés, l'arrêt de l'accès à ce service aux personnes mentionnées au 2 du 1 et, le cas échéant, au 1 du 1 de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 ; qu'il est précisé à l'article 1er du décret n° 2011-2122 du 30 décembre 2011 que, lorsque l'arrêt de l'accès à une offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée a été ordonné dans les conditions définies à l'article 61 de la loi du 12 mai 2010, les personnes mentionnées au 1 du 1 de l'article 6 de la loi du 21 juin 2004, c'est-à-dire les personnes dont l'activité est d'offrir un accès à des services de communication au public en ligne, procèdent à cet arrêt en utilisant le protocole de blocage par nom de domaine (DNS) ; qu'il en résulte que l'action visant à ordonner l'arrêt de l'accès à une offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée ne peut être dirigée qu'à l'encontre des fournisseurs d'accès à internet ayant matériellement accès au réseau et pouvant ainsi personnellement procéder au blocage ordonné ; qu'en déclarant cependant recevable l'action dirigée, sur le fondement de l'article 61 de la loi du 12 mai 2010, contre un opérateur de services n'ayant pas matériellement accès au réseau et ne pouvant personnellement bloquer un nom de domaine, cette faculté appartenant aux seuls opérateurs de réseau, la cour d'appel a violé les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et 1er du décret n° 2011-2122 du 30 décembre 2011 ;

ALORS, d'autre part, qu'une personne n'a qualité à défendre à une action en injonction de faire qu'à la condition de pouvoir personnellement mettre en oeuvre cette injonction ; qu'elle ne peut être attraite en justice aux fins de faire mettre en oeuvre cette injonction par une autre personne ; qu'en retenant cependant que l'action visant à ordonner l'arrêt de l'accès à une offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne pouvait être dirigée à l'encontre d'un opérateur de services ne pouvant personnellement procéder au blocage ordonné, dès lors que cet opérateur pouvait faire mettre en oeuvre ce blocage par un opérateur de réseau, la cour d'appel a violé les articles 31, 32 et 122 du code de procédure civile, 61 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et 1er du décret n° 2011-2122 du 30 décembre 2011 ;


ALORS, enfin, que l'article 61 alinéa 2 de la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010, qui offre au président de l'Autorité de régulation des jeux en ligne le droit de solliciter à l'encontre des fournisseurs d'accès à internet une injonction d'avoir à interdire l'accès à un site internet, dès lors que l'éditeur d'un tel site n'a pas déféré sous huit jours à une mise en demeure adressée par le président de l'ARJEL, est contraire au principe de la présomption d'innocence consacré par l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'il permet que soit ordonnée l'interdiction de l'accès à un site internet, en raison du caractère illicite et pénalement répréhensible de l'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard réalisée sur ce site, sans que soit exigée de la part du président de l'ARJEL la démonstration du caractère illicite du site internet et sans que l'éditeur en cause soit appelé à la procédure et puisse bénéficier du droit de contester en justice de façon contradictoire et en temps utile l'analyse du président de l'ARJEL.

 

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