DROIT INFORMATIQUE

Jurisprudence

Cass. crim., 24 septembre 1998
pourvoi 97-81.748

droit informatique

Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 24 septembre 1998 (pourvoi 97-81.748)

Cour de cassation, chambre criminelle
24 septembre 1998, pourvoi 97-81.748

CASSATION sur le pourvoi formé par :

- X... Claude,

contre l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers, chambre correctionnelle, en date du 6 mars 1997, qui, pour escroqueries, l'a condamné à 1 an d'emprisonnement avec sursis, 100 000 francs d'amende et a prononcé sur les intérêts civils.

LA COUR,

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Attendu que Claude X..., masseur-kinésithérapeute, a fait l'objet d'une plainte de la Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime pour délit de fraudes ou fausses déclarations, prévu et réprimé par les articles L. 377-1 et L. 377-5 du Code de la sécurité sociale ; qu'au terme de l'information judiciaire ouverte contre lui par le ministère public du chef d'escroqueries, il a été renvoyé devant la juridiction correctionnelle pour avoir, de novembre 1991 à octobre 1993, trompé la Caisse précitée en employant des manoeuvres frauduleuses consistant en des facturations de soins fictifs ou non conformes à la nomenclature générale des actes professionnels et en des surcotations d'actes, et l'avoir ainsi déterminée à effectuer des remboursements excessifs ;

En cet état ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 du Code pénal et L. 313-1 du nouveau Code pénal, 2 de la loi du 6 janvier 1978, dite " informatique et liberté ", 378 du Code pénal, 226-13 du nouveau Code pénal, 385, 386, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a refusé d'écarter des débats des pièces résultant d'un traitement automatisé d'information donnant une définition du profil de Claude X... et relatant des informations médicales nominatives sur des patients de Claude X..., pièces sur la base desquelles Claude X... a été déclaré coupable des faits qui constitueraient une escroquerie ;

" aux motifs que Claude X..., en cause d'appel, demande à la Cour d'écarter des débats les documents produits par la CPAM de la Charente-Maritime faisant état de renseignements fournis par la CMSA pour les journées des 18, 20 et 25 janvier 1992, au motif que ces éléments n'ont pu être communiqués que par la consultation des fichiers informatiques, en violation de la loi du 6 janvier 1978 ; que, sur ce premier point, la Cour relève qu'il s'agit d'une exception qui n'a pas été soulevée devant les premiers juges et qu'en application des dispositions des articles 385 et 386 du Code de procédure pénale, cette exception doit être déclarée irrecevable ;

" que Claude X... demande, en outre, comme en première instance, que les documents produits par la CPAM de la Charente-Maritime relatifs à l'activité des masseurs-kinésithérapeutes sur le plan national, régional et départemental, soient écartés des débats (côtes D. 10 à D. 18) ; que la Cour relève que l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 précise qu'aucune décision de justice impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé d'informations donnant une définition du profil ou de la personnalité de l'intéressé ; qu'en l'espèce, les données statistiques ont été régulièrement versées aux débats par la CPAM de la Charente-Maritime dans le cadre de l'instruction ; qu'il s'agit de documents à caractère général, ne concernant pas directement Claude X..., qui ont pu être débattus contradictoirement et qui ne doivent pas être utilisés comme fondement exclusif d'une décision de justice ; qu'ils n'ont donc pas à être écartés des débats ;

" 1° alors qu'aucune décision de justice impliquant une appréciation sur un comportement humain ne peut avoir pour fondement un traitement automatisé d'informations donnant une définition du profil ou de la personnalité de l'intéressé ; qu'il résulte du réquisitoire définitif de renvoi qu'à l'appui de sa plainte, la CPAM de Charente-Maritime a " fourni un document statistique permettant une comparaison tant au niveau national que départemental entre l'activité de Claude X... (moyenne du nombre d'actes, moyenne du coefficient global, honoraires) et celle des autres kinésithérapeutes " et qu'il ressortait de ces comparaisons que les chiffres concernant l'activité de Claude X... étaient environ 3 fois supérieurs à la moyenne ; qu'en refusant d'écarter des débats ces pièces ayant déterminé les poursuites et servant de fondement à la condamnation de Claude X... sur la base de statistiques informatiques destinées à définir le profil de l'intéressé, la cour d'appel a violé l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 ;

" 2° alors que l'obligation au secret médical est absolue et s'impose impérativement à toutes les personnes qui ont recueilli des informations médicales en raison de leur profession ou fonction ; qu'il résulte des constatations de l'arrêt attaqué que la CPAM a fourni des informations médicales nominatives sur des patients traités par Claude X... pour illustrer des journées de travail de ce dernier, ces informations médicales nominatives ayant été recueillies par les préposés de la CPAM en raison de leurs fonctions ; qu'en refusant d'écarter ces pièces des débats et en fondant sa décision sur une telle violation du secret médical, la cour d'appel a violé l'article 378 du Code pénal et L. 226-13 du nouveau Code pénal ;

" 3° Alors que Claude X... avait demandé in limine litis devant le tribunal correctionnel que soient écartées des débats les pièces recueillies et produites par la CPAM en violation de la loi informatique et liberté, sa demande en cause d'appel n'ayant fait qu'expliciter ses prétentions originaires ; qu'en refusant d'écarter des débats les renseignements fournis par la CPAM pour les journées des 18, 20 et 25 janvier 1992, au motif qu'il s'agirait d'une exception qui n'a pas été soulevée devant les premiers juges, la cour d'appel a violé les articles 385 et 386 du Code de procédure pénale ;

" 4° Alors, en toute hypothèse, que le moyen tiré d'une violation de la loi informatique et liberté et du secret médical ne constitue pas l'invocation d'une exception de procédure mais de la violation d'une règle de fond ; qu'en estimant, dès lors, qu'un tel moyen devait être proposé in limine litis, la cour d'appel a violé les textes susvisés " ;

Attendu en premier lieu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que le prévenu a demandé à la cour d'appel d'écarter des débats des pièces produites par la CPAM de la Charente-Maritime, consistant, d'une part, en des documents portant sur ses activités professionnelles pour les journées des 18, 20 et 25 janvier 1992, d'autre part, en des statistiques définissant l'activité moyenne des masseurs kinésithérapeutes aux niveaux national, régional et départemental, aux motifs que ces documents, obtenus par l'exploitation de fichiers informatiques, sont produits en méconnaissance de l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;

Que l'arrêt a déclaré la demande portant sur l'activité propre de Claude X..., présentée sous forme d'exception, irrecevable comme n'ayant pas été soulevée en première instance ; que, pour débouter l'intéressé du surplus de sa demande, les juges du second degré énoncent que les statistiques générales produites ne concernent pas directement le prévenu, ne sont pas le fondement exclusif de la décision et ont été soumises au débat contradictoire ; qu'ils relèvent enfin que la reconstitution des actes réalisés au cours des 3 journées litigieuses de janvier 1992 résulte des contrôles effectués par la CPAM, de l'enquête et de l'information judiciaire ;

Attendu qu'en cet état, si c'est à tort que la cour d'appel a déclaré la demande partiellement irrecevable, ne s'agissant pas d'une exception de nullité de procédure, la décision n'en est pas moins justifiée dès lors que l'article 2 de la loi du 6 janvier 1978 n'interdit pas de faire état d'informations diffusées par des systèmes informatiques rassemblant des données qui n'ont pas été traitées de manière à donner une définition du profil ou de la personnalité de l'intéressé ;

Attendu en second lieu qu'il ne résulte ni des mentions de l'arrêt ni d'aucunes conclusions que le demandeur ait fait état, devant les juges du fond, d'une prétendue violation du secret médical ;

D'où il suit que le moyen, qui en sa deuxième branche, est nouveau et mélangé de fait et, comme tel, irrecevable, doit être, pour le surplus, écarté ;

Mais sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 405 du Code pénal et L. 313-1 du nouveau Code pénal, 591 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Claude X... coupable d'escroquerie au préjudice de la CPAM de la Charente-Maritime et l'a condamné à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 100 000 francs d'amende, allouant à la CPAM 100 000 francs de dommages-intérêts et 10 000 francs de frais irrépétibles ;

" aux motifs que le caractère fictif et la mauvaise qualité des soins reprochés à Claude X... portent sur 2 cas (Mme B... et Mme Y...) ; que les conditions dans lesquelles les informations ont été recueillies sur ces 2 cas ne permettent pas de retenir avec certitude que Claude X... a pratiqué un acte fictif (absence de rééducation du membre supérieur droit) ou qu'il a donné des soins de mauvaise qualité ;

" que, par contre, l'enquête et l'information ont démontré que Claude X... a donné des soins non conformes à la nomenclature et qu'en particulier, il n'a pas respecté le temps prévu permettant d'assurer aux malades des soins consciencieux, éclairés, attentifs et prudents ; qu'ainsi, en 1991, Claude X... a réalisé un coefficient global de 77 319 actes et de 40 759 pour les 6 premiers mois de 1992, alors que la dernière convention nationale signée entre les masseurs-kinésithérapeutes et les Caisses primaires d'assurances maladie prévoyait un coefficient annuel global de 47 000 actes ; que, par ailleurs, Claude X... a facturé pendant plusieurs années et notamment entre novembre 1991 et octobre 1993 un nombre d'heures de travail qui avoisine et parfois dépasse 24 heures par jour ; qu'ainsi, en effectuant un contrôle par sondage pour des journées très précises, tout en réduisant d'un tiers de temps prévu à la nomenclature générale des actes professionnels et sans qu'il soit tenu compte des temps de déplacement au domicile des patients dans les maisons de retraite où ceux-ci étaient hébergés, on arrive à une durée de travail de 24 heures 15 le 18 janvier 1992, 22 heures 45 le 20 janvier 1992, 24 heures 15 le 25 janvier 1992 ; que Claude X... allègue qu'il travaillait 7 jours sur 7, 14 heures par jour la semaine et 8 heures le dimanche, soit 92 heures par semaine, ne prenant que 15 jours de vacances par an, ce qui apparaît tout à fait invraisemblable ; qu'il indique, par ailleurs, qu'il avait la possibilité de traiter plusieurs malades en même temps ; qu'à cet égard, il convient de souligner que la nomenclature autorise le traitement simultané de 4 malades par exception au principe d'exclusivité à condition que les patients soient reçus au cabinet, qu'il s'agisse de traitements limitativement énumérés, que la séance ait une durée minimale d'une heure et qu'il soit consacré à chaque malade au minimum la moitié du temps indiqué par séance pour chaque type de rééducation ; que ces conditions sont très restrictives et ne pouvait concerner l'ensemble de la clientèle de Claude X..., en particulier celle, importante, des personnes âgées dans des maisons de retraite, contrairement à ce qu'a soutenu Claude X... à l'audience ; que, d'ailleurs, à titre d'exemple, la CPAM a analysé la journée de travail de Claude X... du 2 mai 1991 : Claude X... a dispensé des soins auprès de 35 patients dont 9 ont pu être traités simultanément en cabinet, pour un total de 24 heures... ;

" qu'il en résulte que Claude X... n'a pas respecté le temps de soin prévu par la nomenclature et que cela a d'ailleurs été constaté formellement par la CPAM dans 4 cas : Mme Z... (obs. n° 12), 30 mn au lieu de 60 mn, Mme D... (obs. n° 13) 15 mn au lieu de 60 mn, M. C... (obs. n° 14) 20 mn au lieu de 45 mn, Mme A... (obs. n° 15) à 30 mn au lieu de 50 mn ;

" qu'il est, d'autre part, établi qu'à 13 reprises, entre novembre 1991 et octobre 1993, Claude X... a appliqué une cotation supérieure à celle prévue par la nomenclature dans le cas de réadaptation à la marche de personnes âgées (obs. 1, 2, 3, 4, 5, 8, 9 et 10), de rééducation des grosses articulations (obs. 14), d'affections neurologiques de longue durée (obs. 6, 7 et 11), d'affections de neurone moteur périphérique (obs. 15) ; que Claude X... ne peut valablement soutenir que les prescriptions médicales étaient inadéquates, qu'il s'agissait le plus souvent de personnes âgées ne pouvant supporter la fatigue du traitement et, d'une manière générale, que la nomenclature était complètement dépassée ; qu'en effet, la Cour relève que Claude X... avait été mis en garde par la CPAM de la Charente-Maritime de respecter la nomenclature en vigueur ; que, d'autre part, il n'appartenait pas à Claude X... de remettre en cause seul, après entente préalable, une cotation conforme à la prescription médicale et à la nomenclature et d'obtenir le paiement au tarif conventionnel d'actes dont la durée a été inférieure à celle prévue à la nomenclature des actes professionnels ;

" que les agissements de Claude X..., par leur ampleur et leur fréquence, lui ont permis de se faire remettre des fonds injustifiés, par le biais des remboursements aux assurés sociaux ; que, comme l'a souligné la CPAM, ces agissements sont d'autant plus frauduleux qu'une grande partie de la clientèle de Claude X... était constituée de personnes âgées résidant en maison de retraite, bénéficiant de l'exonération du ticket modérateur et qui n'avaient donc pas de sommes à verser directement à Claude X... et ne pouvaient opérer aucun contrôle sur l'adéquation des prestations effectuées et des sommes payées ; qu'un tel comportement justifie une sanction sévère, la décision des premiers juges étant partiellement réformée sur ce point ; qu'il y a lieu de condamner Claude X... à 1 an d'emprisonnement avec sursis, ainsi qu'à une amende de 100 000 francs ;

" alors que le fait par un praticien d'inscrire sur des feuilles de soins destinées aux organismes de sécurité sociale des renseignements inexacts concernant des actes ne peut constituer une manoeuvre frauduleuse au sens de l'article 405 du Code pénal, applicable aux faits poursuivis, en l'absence d'éléments extérieurs de nature à leur donner force ou crédit ; qu'en se fondant exclusivement sur les déclarations prétendument erronées de Claude X... sur les feuilles de soins destinées aux organismes de sécurité sociale, sans relever le moindre élément extérieur de nature à leur donner force ou crédit, la cour d'appel n'a pas caractérisé de manoeuvres constitutives d'escroquerie, violant les textes susvisés " ;

Vu les articles 405 ancien et 313-1 du Code pénal ;

Attendu que tout jugement ou arrêt en matière correctionnelle ou de police doit constater l'existence de tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ;

Attendu que, pour déclarer Claude X..., masseur-kinésithérapeute, coupable d'escroqueries, la cour d'appel, après avoir relevé qu'une grande partie de sa clientèle était composée de personnes âgées résidant en maison de retraite et ne pouvant exercer aucun contrôle, énonce que ce praticien n'a pas respecté les temps prévus à la nomenclature générale des actes professionnels permettant d'assurer aux malades des soins consciencieux, éclairés, attentifs et prudents et, qu'à 13 reprises, il a appliqué une cotation supérieure à celle prévue par la nomenclature ;

Mais attendu qu'en prononçant ainsi, sans relever l'existence d'éléments extérieurs de nature à donner aux fausses indications portées sur les feuilles de soins force et crédit, ni, à défaut, rechercher si les faits poursuivis étaient susceptibles de recevoir une autre qualification, la cour d'appel a méconnu le sens et la portée des textes et principe ci-dessus énoncés et n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés,

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Poitiers, en date du 6 mars 1997, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Bordeaux.

 

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