DROIT INFORMATIQUE

Jurisprudence

Cass. com., 20 octobre 1998
pourvoi 96-21.859

droit informatique

Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre commerciale, du 20 octobre 1998 (pourvoi 96-21.859)

Cour de cassation, chambre commerciale
20 octobre 1998, pourvoi 96-21.859

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par :

1 / la société Albanel, société à responsabilité limitée, dont le siège est ...,

2 / M. Patrick A..., ès qualité de mandataire liquidateur de la société Albanel, demeurant ...,

3 / M. Pascal Z..., demeurant ...,

4 / M. Francis Z..., demeurant ...,

en cassation d'un arrêt rendu le 12 septembre 1996 par la cour d'appel de Versailles (12e chambre, 2e section), au profit :

1 / de la société Apura Ile-de-France, société anonyme, dont le siège est ...,

2 / de M. Serge Y..., demeurant anciennement ... et actuellement ...,

défendeurs à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 30 juin 1998, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Léonnet, conseiller rapporteur, M. Nicot, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Léonnet, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, avocat de la société Albanel, de M. A..., ès qualités et de MM. Pascal et Francis Z..., de Me Bertrand, avocat de la société Apura Ile-de-France, de Me Cossa, avocat de M. Y..., les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué (Versailles, 12 septembre 1996), que la société Apura Ile de France (société Apura), actuellement en liquidation judiciaire et représentée par son mandataire liquidateur M. A..., avait pour objet la distribution de produits destinés à l'hygiène ; que les membres de la famille Z... actionnaires majoritaires de cette société, qui s'appelait alors Lebas-Monroig, ont cédé en 1989 à une société de droit allemand 3995 actions sur les 4000 représentant le capital social de l' entreprise ; que dès le début de l'année 1990, les nouveaux dirigeants de la société Apura ayant constaté une baisse brutale et anormale du chiffre d' affaires, ont saisi le juge des référés pour être autorisés à pratiquer une saisie contrefaçon du logiciel-client utilisé par la société Albanel, qui avait été créée "aussitôt après la cession des actions" par Messieurs Z... et certains de leurs collaborateurs, dont M. Y... ; que cette saisie a été suivie d' une instance devant le tribunal de commerce, en contrefaçon et en concurrence déloyale ;

Attendu que M. A..., ès-qualités, et MM. Z... font grief à l' arrêt partiellement confirmatif, d'avoir décidé que la société Albanel et MM. Z... avaient commis à l'égard de la société Apura, des actes de contrefaçon de logiciel, ainsi que de concurrence déloyale et d'avoir fixé le montant des condamnations à 50 000 francs pour la contrefaçon, et à 3 000 000 de francs pour les actes de concurrence déloyale, alors, selon le pourvoi, d'une part, que les juges du fond ne peuvent sous prétexte d'interprétation, méconnaître le sens clair et précis d'un écrit ; que dans son rapport d'expertise, M. X... a refusé d'affirmer que MM. Z... avaient recopié les fichiers de la société Lebas-Monroig avant de la céder à la société Apura, puisqu'il a admis au contraire qu'il était parfaitement possible que les fichiers litigieux proviennent "d'un même fichier, élaboré avant novembre 1989, puis recopié dans les deux machines (Apura et Camon) pour, en fin de compte, évoluer au rythme des deux sociétés" ; qu'en affirmant au contraire que les constatations "précises, détaillées et objectives" de l'expert permettaient de "démontrer que la société Albanel nouvellement créée par les consorts Z..., a commis des actes de contrefaçon, en recopiant servilement les fichiers de la société Lebas-Monroig acquis par la société Apura, par suite de la cession et qu'elle a, de manière déloyale, exploité ledit fichier pour les besoins de son commerce", la cour d'appel en a dénaturé les termes violant ainsi l'article 1134 du Code civil ; alors, d'autre part, que la responsabilité des associés d'une société anonyme, ne peut être engagée pour des actes de gestion auxquels ils n'ont pas personnellement participé ; qu'en l'espèce la cour d'appel a considéré que MM. Z... étaient personnellement responsables de la désorganisation de la société Apura, au motif qu'ils avaient cédé les actions qu'ils détenaient dans la société Lebas-Monroig pour 12 millions de francs, et que la société concurrente dont ils étaient les associés exploitait illicitement certains fichiers de clientèle ; qu'en condamnant ainsi de simples associés, à répondre des actes délictueux commis par leur société sans démontrer ni qu'ils avaient personnellement copié les fichiers litigieux ni qu'ils avaient été

informés de leur exploitation, la cour d'appel a privé sa décision d'une motivation suffisante au regard de l'article 1382 du Code civile ; alors, en outre, que la victime qui prétend avoir perdu une chance d'obtenir certains bénéfices doit démontrer, au jour où le juge statue, qu'elle n'a toujours pas obtenu les gains espérés ; qu'en l'espèce, les exposants soutenaient que la société Apura avait parfaitement amorti l'acquisition de la société Lebas-Monroig comme en témoignait son refus de fournir tout élément sur sa situation économique actuelle ; qu'en décidant néanmoins, que la société Apura avait perdu une chance de rentabiliser son investissement, sans rechercher, au jour où elle statuait, la situation financière exacte de cette société, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ; et alors, enfin, que si la verte d'une chance est établie, c'est seulement cette perte qui est compensée par l'allocation de dommages-intérêts, et non la totalité du gain que cette chance, si elle s'était réalisée, aurait pu procurer à la victime ; qu'en l'espèce la cour d'appel a fixé, sans autre explication, à la somme de 3 000 000 de francs la perte d'une chance pour la société Apura d'amortir rapidement ses investissements ; qu'en ne précisant pas le gain global escompté et la part d'aléa non indemnisable, la cour d'appel n'a pas mis la Cour de Cassation en mesure de vérifier l'adéquation entre l'indemnité allouée et la perte de chance effectivement subie par la société APURA, privant ainsi sa décision d'une motivation suffisante au regard de l'article 1382 du Code civil ;

Mais attendu, en premier lieu, que l'arrêt constate qu'il ressort de l'expertise qu'"entre le fichier clients d'Apura et celui d'Albanel, 3195 lignes sur les 3946 que comprend chacun des fichiers sont absolument identiques ; mêmes mots, mêmes graphismes, mêmes anomalies de frappe, mêmes espacements, mêmes erreurs, mêmes fautes d'orthographes, mêmes abréviations, mêmes changements de corbeilles" ; que l'arrêt relève encore que l'expert a découvert que sur 85 clients facturés, 52 figuraient dans le fichiers clients de la société Apura ; qu'en l'état de ces constatations, c'est hors toute dénaturation, que la cour d'appel a statué ainsi qu'elle l' a fait ;

Attendu, en second lieu, que la cour d'appel n'a pas condamné MM. Z... en leurs qualités d'associés de la société Albanel, mais à cause de leurs agissements ayant consisté à créer et exploiter "une société concurrente à partir des fichiers litigieux" et ayant participé "personnellement à la désorganisation de la société Apura" ;

Attendu, enfin, que c'est par une décision motivée que la cour d'appel a apprécié souverainement la réalité et l'importance du préjudice subi par la société Apura, après avoir constaté qu'elle avait perdu une chance de rentabiliser son investissement, "aussi rapidement qu'elle l'avait prévu", et en tenant compte également, "de l'ensemble des difficultés" que cette société avait rencontrées ;

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne les demandeurs aux dépens ;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de M. Y..., mais condamne les demandeurs à payer à la société Apura Ile-de-France la somme de 12 000 francs ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt octobre mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.


 

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