DROIT INFORMATIQUE

Jurisprudence

Cass. crim., 12 décembre 1996
pourvoi 95-82.198

droit informatique

Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 12 décembre 1996 (pourvoi 95-82.198)

Cour de cassation, chambre criminelle
12 décembre 1996, pourvoi 95-82.198

CASSATION sur les pourvois formés par :

1° Le procureur général près la Cour d'appel de Paris ;

2° La société Excelsior Informatique, la société Alogiciel France, la société des éditions des Parques, parties civiles, contre l'arrêt de la cour d'appel de Paris, 11e chambre, en date du 15 mars 1995, qui, dans les poursuites suivies contre Marius X... et Alexis Y... du chef d'atteintes à des systèmes de traitement automatisé de données, a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite et débouté les parties civiles de leurs demandes.

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de leur connexité ;

I. Sur les pourvois de la société Alogiciel France et de la société des Editions des Parques :

Attendu que les demanderesses au pourvoi n'ont produit aucun mémoire ;

II. Sur les pourvois du procureur général et de la société Excelsior Informatique :

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, proposé par le procureur général de Paris, pris de la violation des articles 463, 512 et 593 du Code de procédure pénale, insuffisance de motifs :

" en ce que la cour d'appel a relaxé les prévenus des fins de la poursuite ;

" aux motifs que " force est de constater que ni l'enquête ni les expertises judiciaires n'apportent de renseignements précis " sur les circonstances dans lesquelles la disquette a été infectée ; que " Konrad Z..., employé de la société Floppy Duplication, n'a jamais été entendu par le magistrat instructeur ou par les enquêteurs agissant sur commission rogatoire " ; qu'" il n'a pas été demandé au cours de l'instruction de façon précise à tous les techniciens de la société Floppy Duplication et notamment à Konrad Z... si des essais avaient été faits après réception du master et, si oui, par qui et sur quel ordinateur " ; que le " gérant de la société Floppy Duplication a été imprécis au cours de l'enquête " ; qu'une phase des opérations " n'a pas été sérieusement étudiée et vérifiée " et qu'" il existe donc un doute sur les conditions exactes de la contamination de la disquette " ;

" alors que, en l'état des lacunes de l'information ainsi relevées, il appartenait aux juges d'ordonner les mesures d'instruction dont ils reconnaissent eux-mêmes la nécessité et que la cour d'appel ne pouvait, dès lors, comme elle l'a pourtant fait, se fonder sur l'existence d'un doute pour relaxer les prévenus " ;

Sur le premier moyen de cassation, proposé par la société Excelsior Informatique, pris de la violation des articles 462-3, 462-4 du Code pénal, 323-2, 323-3 du nouveau Code pénal, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Alexis Y... du chef de l'infraction qui lui était reprochée d'avoir volontairement introduit le virus Frodo dans le master litigieux le 10 avril 1991 et d'avoir en conséquence débouté la société Excelsior Informatique de sa constitution de partie civile à son encontre ;

" aux motifs qu'il résulte des constatations des experts judiciaires A... et B... que l'on doit écarter l'hypothèse avancée par le prévenu Alexis Y... selon laquelle la disquette utilisée pour la duplication ne serait pas la disquette qu'il avait fini de confectionner et qu'il avait remise à Marius X... le 10 avril au matin puisque les experts ont relevé l'existence d'un morceau de répertoire du disque dur de l'ordinateur AT de Mildata sur les disquettes dupliquées ; que cet élément ne permet cependant pas de déduire que le virus Frodo a nécessairement été introduit volontairement par Alexis Y... le 10 avril au matin, quand il a travaillé chez Mildata sur cette disquette Vega, puisque les experts judiciaires A... et B... ont reconnu qu'aucune constatation matérielle ne permettait d'affirmer que l'infection se soit produite nécessairement à ce niveau, la disquette ayant pu être infectée au cours d'essais de fonctionnement, ces experts ayant vérifié que l'installation d'une disquette saine sur un ordinateur infecté conduit à infecter le fichier Cours Alo ; qu'il convient donc de rechercher s'il résulte de l'enquête et de l'instruction la preuve que la disquette maîtresse confectionnée par Alexis Y..., et remise le 10 avril 1991 dans la matinée à Marius X..., n'a fait l'objet d'aucun essai ou d'aucune opération au cours de laquelle elle aurait pu être infectée, entre son dépôt par Marius X... chez Floppy Duplication et les opérations de duplication, phase au cours de laquelle une infection volontaire ou involontaire a pu avoir lieu ; que force est de constater que ni l'enquête ni les expertises judiciaires n'apportent de renseignements précis sur ce point, que la Cour relève que Constantin E... a toujours affirmé que ce n'était pas à lui que Marius X... avait remis le master le 10 avril et que Marius X... avait d'ailleurs indiqué en cours d'enquête et d'instruction qu'il avait sans doute remis la disquette confectionnée par Alexis Y... à Konrad Z..., ce qu'il a confirmé à l'audience de la Cour ; que cet employé de la société Floppy Duplication n'a jamais été entendu par le magistrat instructeur ou par les enquêteurs agissant sur commission rogatoire ; que Constantin E... a précisé à l'audience de la Cour que c'était Konrad Z... qui lui avait remis la disquette qui a été vérifiée par Mlle C... avant signature du Bat, et que c'était l'écriture de Konrad Z... qui se trouvait sur l'enveloppe dans laquelle ont été trouvés le master et la photocopie d'un bon à tirer lors de la perquisition chez Floppy Duplication ; qu'il n'a pas été demandé au cours de l'instruction de façon précise à tous les techniciens de la société Floppy Duplication et notamment à Konrad Z... (qui avait pourtant été cité par Marius X... et Constantin E... comme étant celui qui avait reçu cette disquette) si des essais ou des opérations quelconques avaient été faits après réception du master, et si oui, par qui et sur quel ordinateur ; que M. D... (gérant de la société Floppy Duplication) a été imprécis au cours de l'enquête en déclarant (D 54) que lorsque " les techniciens " de Floppy Duplication avaient eu en main le master, ils l'avaient " prévenu que c'était prêt " et il avait alors contacté la société Alogiciel pour que quelqu'un vienne tester les

échantillons avant la duplication ; qu'il ne peut exister de certitudes, comme le prétendent les parties civiles et le ministère public, alors que cette phase n'a pas été sérieusement étudiée et vérifiée ; que la Cour estime qu'il ne peut être exclu que le master remis par Marius X... ait fait l'objet d'une opération de modification pour tenir compte d'observations faites par téléphone par Alexis Y..., ou tout simplement qu'il ait fait l'objet d'un essai par un technicien de Floppy Duplication et que la contamination ait eu lieu dans l'un ou l'autre cas, du fait de l'utilisation d'un ordinateur infecté ; qu'il convient de rappeler que l'expert A... a relevé que les ordinateurs de la société Floppy Duplication présentaient de très nombreuses empreintes du virus Frodo et qu'il est établi, plus précisément, que le Thomson du couloir (qui contient sur son disque dur le répertoire Végax) a été infecté par le virus Frodo à cette époque ; qu'il existe donc un doute sur les conditions exactes de la contamination de la disquette Vega et que la Cour relaxera Alexis Y... du chef de l'infraction qui lui est reprochée, pour avoir volontairement introduit le virus Frodo dans le master le 10 avril 1991 ;

" alors, d'une part, qu'après avoir admis que la disquette utilisée pour la duplication avait bien été confectionnée par Alexis Y... et contenait le virus, la cour d'appel qui énoncera un certain nombre d'éléments décisifs de la culpabilité du prévenu ne pouvait pour infirmer le jugement et le relaxer se borner à dire qu'il existait un doute sur les conditions exactes de contamination de la disquette Vega ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

" alors, d'autre part, et en tout état de cause qu'en présence d'éléments déterminants de la culpabilité d'Alexis Y..., la cour d'appel ne pouvait le relaxer en se fondant sur les lacunes de l'information, qu'il lui appartenait dans ces conditions d'ordonner, si elle s'estimait insuffisamment informée d'ordonner toute mesure utile à établir la culpabilité du prévenu ;

" alors, enfin que, face aux éléments de preuve déterminante figurant au dossier, la cour d'appel ne pouvait infirmer le jugement et relaxer Alexis Y... sans s'expliquer sur le fait retenu par les premiers juges qu'il avait été constaté au siège de la société Mildata la présence d'une disquette préparatoire à une opération de promotion d'un testeur antivirus pour un autre magasin PC Mag du virus Frodo " ;

Sur le second moyen de cassation, proposé par la société Excelsior Informatique, pris de la violation des articles 462-3, 462-4 du Code pénal, 323-2, 323-3 du nouveau Code pénal, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, défaut de réponse à conclusions, manque de base légale :

" en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a relaxé Alexis Y... et Marius X... des faits qui leurs étaient reprochés et d'avoir, en conséquence, débouté la société Excelsior Informatique de sa constitution de partie civile à leur encontre ;

" aux motifs qu'il convient de rechercher s'il résulte des pièces du dossier et des débats la preuve que Alexis Y... et Marius X... ont eu connaissance du fait que les disquettes en cours de duplication étaient infectées et la preuve que Marius X..., responsable de fait de la société Floppy Duplication, a sciemment fait poursuivre les opérations de duplication, puis fait assurer l'insertion de la disquette dans la revue Soft et Micro, dont il savait qu'elle serait diffusée à de très nombreux exemplaires ; que Marius X... et Alexis Y... ont déclaré, au cours de leur audition du 13 juin 1991 par les fonctionnaires de la brigade financière, avoir appris le 11 avril 1991 que les disquettes en cours de duplication contenaient le virus Frodo et avoir décidé de refaire un master qui avait été remis chez Floppy Duplication, le soir même, vers 20 heures, par Marius X... que ces déclarations n'ont pas été confirmées devant le magistrat instructeur et que les 2 prévenus ont ensuite constamment contesté avoir eu connaissance de l'existence du virus sur la disquette en cours de duplication et ne l'avoir appris que lorsque la revue Soft et Micro avait été distribuée aux abonnés ; que les déclarations des prévenus faites le 13 juin 1991 ne sauraient avoir une valeur probante dans la mesure où elles ont été recueillies le deuxième jour de la garde à vue, à l'occasion d'interrogatoires qui se sont poursuivis durant 7 h 30, sans temps de repos selon les procès-verbaux de notification de fin de garde à vue (à savoir de 9 heures à 16 h 30 pour Alexis Y... et de 9 h 30 à 17 heures pour Marius X...) de sorte que l'argument invoqué par les prévenus de déclarations faites sous le coup de la fatigue et influencées par certaines suggestions des enquêteurs ne peut être écarté, d'autant que ces déclarations ne sont guère circonstanciées et qu'il a même été vérifié qu'elles étaient parfaitement infondées sur certains points, et notamment en ce qui concerne la confection d'un nouveau master par Alexis Y... le 11 avril et son dépôt à la société Floppy Duplication par Marius X... le même soir, et en ce qui concerne un prétendu ordre donné par Marius X... au service de la duplication de la société Floppy Duplication d'arrêter cette duplication ; qu'Alexis Y... ne conteste pas avoir constaté une infection par le virus Frodo de son ordinateur AT de Mildata alors qu'il travaillait à la confection d'un master pour PC Magazine et qu'il avait utilisé une des disquettes Vega rapportée par Marius X... de chez Floppy Duplication au début des opérations de duplication ; que cependant il affirme n'avoir pu être convaincu à ce moment-là de ce que son ordinateur avait été infecté par cette disquette, car il avait eu l'occasion de passer sur son ordinateur de très nombreuses autres disquettes susceptibles d'être infectées et avait en outre été rassuré puisque ayant demandé par téléphone que l'on vérifie chez Floppy Duplication les disquettes en cours de duplication, on lui avait répondu que les tests étaient négatifs ; que Constantin E... a reconnu avoir reçu un appel téléphonique d'Alexis Y... l'informant de la présence du virus Frodo sur le disque dur de son ordinateur AT chez Mildata, et lui avoir alors répondu de lui " foutre la paix " car il avait beaucoup de travail, étant toutefois précisé qu'il avait indiqué avoir demandé à Konrad Z... les tests de Cheksum avaient été faits en cours de duplication et que celui-ci lui avait répondu par l'affirmative et dit qu'il n'avait décelé aucun problème ; que Marius X... reconnaît également qu'Alexis Y... lui a fait part d'un problème de virus sur son ordinateur et lui avoir conseillé de téléphoner à Constantin E..., mais il affirme ne pas avoir eu connaissance, ni même pensé, que c'était la disquette Vega en cours de duplication qui était infectée ; que si l'on peut relever une grande négligence professionnelle de la part des 2 prévenus, on ne peut affirmer contrairement à ce que soutient le conseil de la société Excelsior Informatique qu'il résulte d'éléments précis du dossier ou des débats la preuve qu'ils ont eu connaissance au cours des opérations de duplication de l'infection des disquettes Vega et qu'ils les ont sciemment laissé insérer dans la revue Soft et Micro, sachant que le virus Frodo était présent dans ces supports informatiques qui seraient distribués en de multiples exemplaires ; que de simples suppositions sont insuffisantes et que le doute doit bénéficier aux deux prévenus qui seront renvoyés des fins de la poursuite ; que le jugement sera donc infirmé ;

" alors, d'une part, que face aux éléments de preuve déterminante de la culpabilité des 2 prévenus, et notamment du rapport d'expertise A..., la cour d'appel qui estime que Alexis Y... et Marius X... auraient fait preuve d'une grande négligence professionnelle ne pouvait infirmer le jugement et relaxer les intéressés en se fondant sur leurs seules déclarations, desquelles elle déduit l'existence d'un doute devant leur bénéficier ;

" alors, d'autre part, que l'arrêt est entaché de contradiction en ce qu'il affirme que Alexis Y... et Marius X... n'ont pas eu connaissance, en cours de duplication, de l'infection de la disquette par le virus Frodo, tout en considérant qu'ils avaient commis une grande négligence professionnelle ; négligence dont la Cour se dispense de dire en quoi elle avait consisté ;

" alors enfin, que la cour d'appel ne pouvait considérer qu'il n'était pas établi qu'Alexis Y... et Marius X... avaient eu connaissance, au cours des opérations de duplication, de l'infection de la disquette Vega et qu'ils l'avaient laissée sciemment insérer dans la revue Soft et Micro tout en sachant que le virus Frodo était présent, sans répondre aux conclusions de la société Excelsior Informatique faisant valoir que cette connaissance résultait de la constatation, par les experts judiciaires, d'une tentative du suppression du virus " ;

Et sur les mêmes moyens relevés d'office en faveur des sociétés Alogiciel France et Editions des Parques ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu qu'il appartient aux juges d'ordonner les mesures d'instruction dont ils reconnaissent eux-mêmes la nécessité ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit contenir les motifs propres à justifier le dispositif ; que l'insuffisance ou la contradiction dans les motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué qu'une société spécialisée dans l'édition de publications relatives aux matériels informatiques la société Excelsior et le concepteur d'un logiciel de bureautique la société Alogiciel ont passé commande, à une société animée par Marius X..., pour la duplication, en 65 000 exemplaires, d'une disquette publicitaire contenant un aperçu du logiciel élaboré, destinée à être vendue dans un numéro d'une revue d'informatique ;

Qu'à l'occasion des opérations de compactage des données inscrites sur la disquette originaire, réalisée par Alexis Y..., avec un appareil de la société de Marius X..., un virus destructeur a été introduit dans le logiciel et, disséminé dans le public à l'occasion de la vente de la revue, a contaminé les programmes d'un grand nombre d'utilisateurs ;

Que Marius X... et Alexis Y... sont poursuivis, sur le fondement des articles 462-3 et 462-4 anciens devenus 323-2 et 323-3 du Code pénal, pour avoir introduit frauduleusement des données dans un logiciel et pour avoir faussé le fonctionnement de systèmes de traitement automatisé de données ;

Attendu que, pour relaxer les prévenus, la cour d'appel énonce que ni l'enquête ni les expertises judiciaires n'apportent de renseignements précis sur les circonstances dans lesquelles la disquette a été infectée, que Konrad Z..., employé de la société, n'a jamais été entendu, qu'il n'a pas été demandé aux techniciens de la société et, notamment à Konrad Z..., si des essais avaient été faits après réception de la maquette, et, " si oui, par qui et sur quel ordinateur " ; qu'ainsi une phase des opérations n'a pas été sérieusement étudiée et vérifiée ; qu'il existe donc un doute sur les conditions exactes de la contamination de la disquette ;

Mais attendu qu'en se bornant à prononcer ainsi, sans ordonner les mesures d'investigations dont elle reconnaissait la nécessité et dont elle donnait les modalités, et sans répondre aux conclusions des parties civiles faisant valoir que l'intention frauduleuse des prévenus se déduisait de leur parfaite connaissance du diagnostic et des traitements anti-virus, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés ;

Que dès lors la cassation est encourue ;

Et attendu qu'il est d'une bonne administration de la justice d'étendre la cassation à la société AGI 32 qui ne s'est pas pourvue ;

Par ces motifs :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt de la cour d'appel de Paris, en date du 15 mars 1995, et pour qu'il soit à nouveau jugé conformément à la loi :

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Paris autrement composée.

 

Retour à la liste des décisions