DROIT INFORMATIQUE

Jurisprudence

Cass. crim., 12 octobre 1994
pourvoi 93-84.090

droit informatique

Les grands arrêts de la jurisprudence en droit informatique : arrêt de la Cour de cassation, chambre criminelle, du 12 octobre 1994 (pourvoi 93-84.090)

Cour de cassation, chambre criminelle
12 octobre 1994, pourvoi 93-84.090

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le douze octobre mil neuf cent quatre vingt quatorze, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire FERRARI, les observations de la société civile professionnelle ROUVIERE et BOUTET et de Me FOUSSARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LIBOUBAN ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

- Y... Stéphane, contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 13ème chambre, du 9 juillet 1993, qui, pour contrefaçon de logiciel, l'a condamné à 30 000 francs d'amende avec sursis, a ordonné une mesure de confiscation et a statué sur les intérêts civils ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 485, 486, 510, 512, 593 du Code de procédure pénale ;

"en ce que les mentions de l'arrêt attaqué, indiquent "il a été procédé à la lecture de l'arrêt par l'un des conseillers ayant participé aux débats et au délibéré qui, le président étant empêché, l'a signé conformément aux dispositions de l'article 486, dernier alinéa du Code de procédure pénale" ;

"alors que le nom des magistrats qui rendent la décision doit être mentionné ; que la seule mention selon laquelle l'arrêt a été prononcé et signé par l'un des conseillers ayant participé aux débats et au délibéré est insuffisante à justifier la régularité de la composition de la Cour ayant statué, dès lors que le nom du conseiller ayant lu l'arrêt n'est pas précisé et que la signature illisible apposée ne permet pas de l'identifier ; qu'ainsi, la Cour de Cassation n'est pas en mesure d'exercer son contrôle" ;

Attendu qu'après avoir mentionné le nom des trois magistrats composant la juridiction, l'arrêt constate que l'un des conseillers ayant participé aux débats et au délibéré a donné lecture de la décision et a signé la minute en l'absence du président empêché ;

Attendu que ces mentions suffisent à établir la régularité de la composition de la juridiction qui a statué ; qu'il n'importe que l'arrêt ne précise pas lequel des deux assesseurs a donné lecture de la décision ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 425, 426, 426-1 du Code pénal, 47 de la loi du 3 juillet 1985, L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale, défaut de réponse à conclusions ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a déclaré Stéphane Y... coupable du délit de contrefaçon d'un logiciel et l'a en répression condamné à 30 000 francs d'amende avec sursis, tout en ordonnant la confiscation des deux disquettes saisies, ainsi qu'à payer à M. Frédéric Z... et à l'agence pour la protection des programmes les sommes respectives de 150 000 francs et 10 000 francs à titre de dommages-intérêts, outre celles de 5 000 francs et 3 000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"aux motifs que Frédéric Z... étant seul créateur du logiciel litigieux reproduit par Stéphane Y..., ainsi que la Cour l'a estimé en son arrêt du 20 décembre 1991, et ledit logiciel révélant une réelle originalité aussi bien dans sa construction que dans les modalités opérationnelles, Frédéric Z... ayant fait preuve d'inventivité et de réalisme pragmatique, il convient, en infirmant partiellement le jugement attaqué, de déclarer Stéphane Y... coupable de contrefaçon et de prononcer à son encontre une sévère peine d'amende assortie toutefois de sursis ; qu'il n'est pas en revanche indubitablement établi que Jacques X... ait détenu dans les locaux de la société anonyme dont il est le président du conseil d'administration, le logiciel Gestion Back Office, créé par Frédéric Z... en sachant pertinemment qu'il s'agissait là d'une application informatique que Stéphane Y... avait contrefaite ; qu'il n'est pas en outre établi que ledit logiciel ait été utilisé par la société X... ; que dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a renvoyé Jacques X... des fins de la poursuite et mis hors de cause la société X... citée comme civilement responsable ;

"alors, d'une part, que la cour d'appel ne pouvait considérer que Y... s'était rendu coupable de contrefaçon tout en constatant que le logiciel n'avait pas été utilisé par la société X..., ce qui excluait que les conditions légales du délit soient caractérisées ;

qu'ainsi, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;

"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait considérer que le logiciel litigieux était une oeuvre originale, Z... ayant fait preuve d'inventivité et de réalisme pragmatique sans rechercher si la faiblesse du produit relevée par l'expert en l'absence de facturation invoquée par Y... n'étaient pas de nature à le priver de ce caractère original nécessaire pour qu'il puisse être protégé ;

que dès lors, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, encore que, la cour d'appel ne pouvait retenir la culpabilité de Y... sans répondre à ses conclusions invoquant le caractère plus qu'inachevé du logiciel, ce qui excluait qu'il puisse s'agir d'une oeuvre originale ; qu'ainsi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;

"alors, enfin que la cour d'appel ne pouvait condamner Y... sans constater l'existence de l'élément intentionnel du délit" ;

Attendu que pour déclarer Stéphane Y... coupable de contrefaçon de logiciel, délit prévu et puni par les articles 425 et 426 du Code pénal, alors applicables, devenus les articles L. 335-2 et L. 335-3 du Code de la propriété intellectuelle, la cour d'appel énonce que le prévenu a quitté la société de courtage bancaire qui l'employait en emportant les disquettes sur lesquelles était enregistré le logiciel de gestion créé, avant qu'il n'entre au service de cette société, par son collègue de travail Frédéric Z... ; que la cour d'appel relève que le prévenu a procédé à une reproduction du logiciel au sein d'une société concurrente dans laquelle il avait désormais des intérêts ; que les juges ajoutent que le logiciel copié présente une réelle originalité "aussi bien dans sa construction que dans les modalités opérationnelles", son concepteur ayant fait preuve d'inventivité et de réalisme pragmatique ;

Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, qui a caractérisé en tous ses éléments constitutifs le délit poursuivi, a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués ;

Que le moyen doit, dès lors, être écarté ;

Et sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3, 485, 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt infirmatif attaqué a condamné Stéphane Y... à payer à M. Frédéric Z... et à l'agence pour la protection des programmes les sommes respectives de 150 000 francs et 10 000 francs à titre de dommages-intérêts, outre celles de 5 000 francs et 3 000 francs sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale ;

"aux motifs qu'il n'est pas établi que le logiciel litigieux ait été utilisé par la société X... ; que les agissements répréhensibles de Stéphane Y... ont causé à Frédéric Z... un préjudice certain, personnel et direct dont il y a lieu de lui accorder réparation ; que la Cour puise dans les circonstances de l'espèce les éléments suffisants pour fixer le préjudice à la somme de 150 000 francs ; que par ailleurs, il y a lieu d'allouer à l'agence pour la protection des programmes où Frédéric Z... avait fait enregistrer le logiciel créé par lui, la somme de 10 000 francs à titre de dommages-intérêts, toutes causes confondues ;

"alors, d'une part, que l'action civile n'est recevable que si elle tend à la réparation d'un dommage résultant directement pour la prétendue victime d'une infraction à la loi pénale ; qu'en l'espèce, la cour d'appel qui constate qu'il n'est pas établi que la société X..., dans les locaux de laquelle a eu lieu la saisie contrefaçon, ait utilisé le logiciel et qui n'a jamais constaté que Y... en aurait fait un usage personnel, ne pouvait condamner celui-ci à verser à Z... une somme de 150 000 francs à titre de dommages-intérêts, en se bornant à affirmer qu'il avait subi un préjudice certain, personnel et direct, sans dire en quoi avait consisté ledit préjudice ; qu'il en allait de même en ce qui concerne l'agence pour la protection des programmes ; qu'ainsi, en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs et ne l'a pas légalement justifiée ;

"alors, d'autre part, que la cour d'appel ne pouvait condamner Y... à verser des dommages-intérêts à Z... ainsi qu'à l'agence pour la protection des programmes, sans répondre à ses conclusions faisant valoir qu'il n'existait pas de préjudice matériel, le logiciel litigieux qui n'a pas été commercialisé n'ayant jamais été utilisé par la société X..., ce qu'a admis la Cour, et la loi de 1985, transférant de droit la propriété à l'employeur, ayant supprimé la reconnaissance du droit moral à l'auteur dudit logiciel" ;

Attendu que, sous le couvert de défaut ou de contradiction de motifs et manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion l'appréciation souveraine des faits et circonstances de la cause contradictoirement débattus au vu desquels les juges du fond ont estimé que les parties civiles justifiaient d'un préjudice découlant de l'infraction ;

D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Où étaient présents : M. Le Gunehec président, Mme Ferrari conseiller rapporteur, MM. Souppe, Jean Simon, Blin, Carlioz conseillers de la chambre, Mme Verdun conseiller référendaire, M. Libouban avocat général, Mme Nicolas greffier de chambre ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;


 

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